Nous émergeons tout doucement. Pas de réveil pour nous tirer du lit ce matin, nous avons bien mérité un peu de repos après la fatigue physique et surtout morale de la veille. C’est donc l’activité des autres occupants du refuge qui nous extirpe du sommeil. Nous avalons tranquillement le petit déjeuner : muesli et chocolat au lait. Le temps pour aujourd’hui s’annonce plutôt clément : pas de tempête à l’horizon, seulement des averses ! Rien de bien impressionnant après la journée d’hier. Les préparatifs sont faits sur un rythme lent, Annaïg soigne ses ampoules, apparues après quelques heures de marche hier. De mon côté, je bricole une nouvelle housse de pluie pour mon sac avec un poncho pris en excédent, les sacs ne sont pas assez légers mais parfois ça a du bon…Nous partons vers 10H et longeons la route pour franchir les premiers gués de Þórsmörk. La carte indique un pont en aval. Comme nous n’avons pas plus envie que ça de mouiller nos affaires à peine sèches, nous nous dirigeons vers lui. Qui plus est, le fort débit de la rivière n’est pas pour nous mettre en confiance. Bien avant le pont, nous apercevons un tracteur et un 4×4 islandais – rien à voir avec le nôtres, les roues m’arrivent largement au-dessus de la ceinture – qui traversent la rivière. Le tracteur dépose un randonneur puis vient en chercher deux autres pour leur faire traverser la rivière. Nous nous regardons, la décision est prise, nous sommes des trekkeurs vrais de vrais ! Alors nous faisons comme les autres, nous allons tenter notre chance et faisons des signes au tracteur qui s’approche de nous. Il s’agit en fait d’un warden qui assure la sécurité du trek. Annaïg s’installe dans la cabine et moi sur le marche-pied (la place est comptée). Nous traversons par deux fois dans près d’un mètre d’eau et un courant violent, sans compter d’autres « petits » bras de rivière qui en comparaison paraissent calmes.
Nous nous inscrivons sur le registre dans la hutte des wardens et nous achetons une carte papier plus précise en complément de celle du GPS. Il est déjà 10H40, et nous n’avons en définitive presque pas bougé. Nous nous engageons alors dans un petit vallon très bucolique : ruisseau, verdure, arbustes et même quelques petits ponts de bois, puis la montée commence. En fait de montée, c’est un échauffement comparé à hier, en plus le temps se maintient, nous n’avons encore pas eu la moindre goutte depuis le départ ! Après avoir profité de la vue sur la vallée – rien que pour ça, le point de vue vaut le détour – nous entamons la descente vers la rivière Þrönga. A chaque groupe que nous croisons, c’est la même conversation «D’où venez-vous ? – A quelle heure êtes-vous partis ? Combien de gués à traverser ? Et de quelle profondeur ?». C’est à croire que tous, quel que soit notre destination, nous manquons cruellement d’imagination.
Et ce qui devait arriver arriva… la rivière est devant nous. Et cette fois, pas de tracteur ou de gentil warden pour nous aider à traverser ! Nous nous mettons en tenue, attention, ça vaut le détour : nous sommes en sous-vêtement pour le bas avec les vestes et sacs sur le dos. Les chaussures de randos sont nouées autour du cou. aux pieds, nous avons opté pour de simples sandales en plastiques, du genre « à deux balles chez Décathlon ». Nous en sommes encore aux questions métaphysiques sur le meilleur endroit pour traverser quand deux types arrivent en sens contraire, ils sont vêtus comme des pêcheurs avec un genre de ciré et le pantalon qui va avec. Ni une ni deux, le premier vise la traversée la plus courte et s’engage dans des rapides. Après deux pas, le courant l’a déjà fait tomber et il tente péniblement de retourner sur la rive, mais la rivière l’a emporté sur quelques mètres et la berge est trop haute pour qu’il puisse s’y hisser. Finalement son collègue arrive à son secours et parvient à l’extirper de la rivière. Ile en sera quitte pour une bonne douche froide.
Refroidis par l’épisode, ils se lancent comme nous à la recherche d’un passage plus calme qu’ils trouveront en amont sous la forme d’une traversée en trois temps, histoire de faire durer le plaisir. Nous mettons en application les astuces trouvées sur le net avant le départ, nous avançons bras-dessus bras-dessous. Au plus profond, avec la vague créée par le courant, l’eau m’arrive à mi-cuisse. En définitive, la traversée se fait facilement, moi qui craignait de tétaniser à cause du froid, je me rend compte que je le sens à peine tellement je suis concentré sur mes pas ; en sortant de l’eau on a presque l’impression qu’il fait chaud, normal l’air a dû passer la barre des 10°C, une vraie canicule ! Les gens qui arrivent au bord de la rivière viennent récupérer conseils et infos que nous partageons avec plaisir.
Encore une petite montagne à franchir et nous redescendons sur une autre rivière, heureusement, celle-ci se franchit sur un pont auprès duquel nous pique-niquons. Commence alors notre première traversée de désert… pas si désert que ça vu le nombre de personnes que nous croisons. La fatigue de la veille commence à se faire sentir et les kilomètres restants semblent ne jamais devoir finir. Le GPS fait comme hier de fréquentes sorties de ma poche pour vérifier que nous ne sommes pas sur la mauvaise route. Que nenni, nous sommes victimes de la même hallucination, les kilomètres s’allongent uniquement dans nos têtes. Le sentier fait un énorme détour pour emprunter un pont sur une rivière déchaînée. Les abord du pont sont inhospitaliers : chaîne ancrée dans la roche d’un côté, corde pour se hisser de l’autre, le tout dans une ambiance très humide. Depuis quelques temps, la pluie a fait son apparition et tombe sous forme d’averses. La dernière montée est très raide, qui plus est dans la cendre où l’on avance e deux pas pour reculer d’un. Enfin, la « Hut » apparaît. Pour nous narguer, une dernière difficulté se met en travers de notre chemin sous la forme d’un ruisseau peu profond. En cherchant bien, nous trouvons un passage à pied sec (mais chaussures humides). Le camping est désert, aucune tente à l’horizon. Après une courte hésitation, d’autant plus courte qu’il pleut encore, nous décidons de ne pas être plus jusqu’au-boutistes que les autres et optons pour la nuit au refuge. Au passage, je commence à me demander pourquoi je porte cette tente et ces matelas pour rien. Dans la Hut des hôtes qui n’ont pas réservé, nous rencontrons six autres « campeurs » rebutés par la météo de ces derniers jours. Il fait bon dans le refuge, une occasion en or de faire sécher nos habits, nos chaussures et mon sac à dos.
L’opportunité, également, de soigner de nouveau les ampoules d’Annaïg, une à chaque talon. Ce n’est pas beau à voir, le pus se mélange au sang, et pour parfaire le tableau, de la cendre s’est insinuée sous la peau, certainement lors des passages de gués. Il faut dire que les Compeed n’ont servi à rien, ils ont glissé et formé un bourrelet inutile. Des Allemands lui proposent une bande spéciale, mais comme celle-ci arrache la peau quand on l’enlève, elle décline. Je m’improvise alors médecin, bétadine dans une main, compresse dans l’autre, Elastoplast dans la troisième, et hop, des pieds tout neufs ou presque !
L’ambiance dans le refuge est très sympathique, nous sommes à égalité : quatre Allemands, quatre Français. Nous en profitons pour tenter de dérouiller notre Allemand, mais l’Anglais s’avère tout de même plus facile. Finalement, un autre couple allemand arrive, ils hésitent à camper ou à dormir au refuge, la place ne manque pas, nous avons une couchette double chacun. En définitive, vers 22h ils iront planter la seule tente visible cette nuit-là. Le warden vient aussi passer un moment pour discuter avec nous, et accessoirement récupérer nos cotisations. Il nous déclare que c’est le meilleur job de sa vie, au calme, à 4H30 de la première ville. Et quand on sait ce qu’est une ville en Islande, on comprend mieux sa perception de la notion de calme ! Il faut tout de même être prêt à passer trois mois dans une petite hutte de 15m², sans eau chaude et où l’électricité vient des panneaux solaires. Celui de notre hutte n’est d’ailleurs pas très efficace puisqu’il arrive à court d’électricité vers 21h, je finirai donc ma lecture à côté de la fenêtre, le soleil offrant suffisamment de lumière pour se passer de la frontale.
Les chiffres de l’étape d’après l’altimètre :
Il n’y en a pas ! Allez savoir si c’est la fatigue ou quoi, mais je ne l’avais pas branché.